Après la sortie de son premier album solo Gare au jaguarr à l’automne dernier, l’ex-NTM JoeyStarr se produisait à nouveau à l’Olympia, à Paris, ce samedi 17 février. Un vrai show où le boss s’est affirmé comme un artiste complet, avec un véritable public et un répertoire bien à lui.
Près de quatre mois après son retour live en solo, revoilà JoeyStarr au même endroit, l’Olympia, pour un nouveau concert tout en muscles et en testostérone. Un peu moins d’invités dans la salle et sur la scène, mais pour compenser, le Jaguar a trouvé ses marques. Un peu plus concis dans ses digressions (appel citoyen au vote, soutien aux sans-papiers, pénible interlude anti-Gynéco, etc.), Joey a gardé le même show, enchaînant les extraits de classiques de la période NTM avec la quasi-totalité de son album solo Gare au jaguarr.
Quand les lumières s’éteignent enfin à 21h53, la clameur qui emplit l’Olympia n’est pourtant pas celle du public de NTM : les fans ont pour la majorité la trentaine, le visage pâle, et quelques journalistes moqueurs avancent qu’on aurait aussi bien pu être à un concert de Bénabar. Sauf que quand arrive J’arrive, l’intro supersonique de l’album et du show, on est en territoire JoeyStarr, les rockers d’Enhancer balançant leurs potars hurlants avec une précision qui faisait défaut lors du concert du 23 octobre 2006. Au balcon, une demi-douzaine de fans filment consciencieusement cette intro décoiffante avec leur portable haut de gamme, tandis que l’orchestre oscille de gauche à droite.
Dadoo, réalisateur de l’album et complice scénique de Joey, renvoie la balle à son boss avec une ardeur rappelant Mc Enroe. Les morceaux de bravoure s’enchaînent sans fioriture : Cours, Pose ton gun, Hot, Hot, Métèque… Très egotrip, Joey a, comme un de ses deux DJs, un tee-shirt à son image, le même que celui qui est vendu dans le stand de l’entrée.
Sentant une salle qui peine parfois à faire preuve de la même folie que le public hip hop auquel il est habitué, Joey multiplie les harangues comme un possédé. Extraits : « Un peu de respect pour ceux qui vont suer sang et eau ce soir ! », « Hey hey hey ! C’est pas une fête de bobos ! », « Levez la main ! Et ceux qui ont payé trop cher, levez la deuxième ! » ou, plus politique, « dites leur bien place Beauvau qu’il y a un métèque qui sommeille en chacun de nous ! ».
Un tacle sur Zidane, à qui Joey reproche de ne pas plus s’engager, et c’est …Zy, le morceau auto-censuré de son solo, ici amputé du couplet d’Iron Sy et réduit à ceux de Joey et Dadoo, ce dernier lâchant son texte a capella et en articulant bien, histoire de faire passer le message sans doute (« Bienvenue dans le monde du petit Nicolas, où le mot respect est un verre qu’il picola »). Une menace plane sur ce spectacle : si le boss of scandal trouve la salle trop molle, il balancera la punition, symbolisée par des extraits du générique de Chapi-Chapo et du Sacré Charlemagne de France Gall.
Il n’en aura pas besoin durant les 130 minutes de ce second sacre qui prouve une fois de plus l’efficacité de Joey sur scène. Reste que sans Kool Shen, il manque un bout de la magie. C’est sûrement ce que doit penser le rappeur Salif, signé sur le label de Shen, venu avec Princess Aniès voir l’ex-NTM et qui doit se taper l’attaque brutale du patron de IV My People sur le très clash Bad Boy (« On a grandi ensemble, on a construit ensemble, et ton putain d’égoïsme a brûlé l’ensemble »). Etrangement, le moment le plus faible est sûrement le medley NTM, d’abord balancé par la fanfare déglinguée de Ceux Qui Marchent Debout, puis reprise en rappel par les DJs Naughty J et DJ James, qui enchaînent les extraits scratchés de Ma Benz, Le monde de demain, Tout n’est pas si facile et autres classiques d’une autre époque. Une dédicace à James Brown, rythmée par Ceux Qui Marchent Debout qui découpent un extrait de We’re Gonna Have A Funky Good Time à coup de cuivres fiévreux, est particulièrement bienvenue. Maceo Parker n’en avait pas fait autant lors de son concert au Grand Rex quelques semaines après la mort du King of soul…
Quand on croit que Joey va s’écrouler, épuisé, le grand caravansérail rapologique redémarre : « Hey, Boss party c’est pas fini ! Jusqu’à l’infini, c’est comme ça qu’on nous définit ! » beugle le patron après un Cigarette piégée explosif. Mais il faut bien rendre les clés, et quand Joey quitte la scène après un interminable Carnaval et un peu plus de deux heures à suer comme un gladiateur, il a prouvé aux spectateurs qu’il était, pour reprendre une de ses stupéfiantes formules, « vivant et en direct ». Ceux qui ont excommunié JoeyStarr pour cause d’obédience aux guitares rock n’ont plus qu’à retourner voir jouer les stars de l’orthodoxie hip hopienne dans une cave : JoeyStarr est désormais un artiste complet, son public et son répertoire en sont la meilleure preuve.
Olivier Cachin