C’est un constat, le visuel des jeux vidéo est de plus en plus convainquant pourtant il est de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux historique de leurs contenus. Comme le souligne parfaitement le youtubeur Nota Bene dans ses épisodes d’History’s Creed (en partenariat avec Arte), la différence est en effet grande entre les histoires et les images de nos écrans face à un épisode d’Assassin’s Creed et le contenu des livres d’Histoire. La raison est principalement dû au fait que les jeux vidéo pullulent de stéréotypes historiques.
Les stéréotypes historiques
Il s’agit d’éléments, d’une période, de composants aisément identifiables par tout le monde afin de structurer et fluidifier la narration d’une histoire. C’est par exemple réduire l’histoire de la France à la phrase : « Nos ancêtres les Gaulois », alors que ce pays est le fruit d’une myriade de peuplades.
Dans les jeux actuels cela donne par exemple :
- Des vikings avec des casques à corne dans Skyrim ;
- Des ruines de temples mystiques dans Tomb Rider et Uncharted ;
- La représentation quasi constante du Moyen Age comme une période très obscure, comme dans For Honor;
- La représentation de barbares avec des corps imposants, musclés, une intelligence généralement réduite, très friands de viande et habillés avec des peaux de bête, à l’instar des orcs dans World of Warcraft ;
- Des méchants malveillants souvent ténébreux, parfois monstrueux et immenses, avec une voix rauque, comme dans Diablo ;
- Une musique à consonance typiquement orientale dans Prince of Persia ;
- La Marseillaise et le drapeau français dans Assassin’s Creed Unity, opus qui se déroule en 1789, date à laquelle ces éléments n’existaient pas encore (la Marseillaise fut écrite en 1792 et, officiellement et définitivement déclarée hymne nationale en 1879 sous la IIIème République, et le drapeau date de 1794 et représente officiellement l’emblème national de la République française depuis 1830) ;
- Un Londres peuplé uniquement de caucasiens et sans prostituées dans Assassin’s Creed Syndicate, alors qu’en réalité, en 1869, l’empire britannique faisait de sa capitale un vrai mélange ethnique réputé pour ses filles de joie.
En réalité, ce sont là des façons pour le joueur de s’approprier rapidement l’univers du jeu. Dans le fond, le joueur ne cherche pas à apprendre, il est avant tout motivé à jouer. Et c’est à cette demande que, par exemple, l’entreprise Ubisoft s’efforce de répondre avec sa licence d’Assassin’s Creed en usant, et parfois abusant, de ces stéréotypes. On peut alors s’interroger sur l’origine et la nécessité de ces stéréotypes, surtout, dans notre cas, de ceux qui concernent l’Histoire de la France.
Origine des clichés historiques français
Les clichés sur lesquels nous vivons ont en grande partie été édifiés au XIXème siècle durant la IIIème République (1870 – 1940). Cette époque est marquée par une volonté de réécriture de l’histoire nationale par laquelle il faut notamment réinventer l’éducation pour tout le monde avec les moyens de l’époque.
L’objectif central consiste à réunir « le peuple français », c’est pourquoi il est alors hors de question pour les fondateurs de la IIIème République d’admettre que l’on puisse être citoyen français tout en restant de « culture primaire », telles que basque, bretonne, catalane ou autre. Les particularismes locaux, alors dénigrés, sont catégorisés comme des régionalismes archaïques. Ils sont ainsi combattus et relégués dans la sphère privée. Tel un dommage collatéral, ce processus comporte, à terme, le risque de conduire ces disparités culturelles à l’extinction. En effet, sans relais solides (écoles, journaux, institutions sociales), ces cultures sont vouées à disparaître, ou, dans un moindre mal pour elles, à une folklorisation et à une marginalisation.
C’est donc là que naissent les emblèmes de la République : drapeau, hymne, date de fête nationale (14 juillet), Marianne.
La notion d’exemplarité est également cruciale, alors on érige des moments exemplaires, des personnages exemplaires afin d’héroïser la nation et ses acteurs. On fabrique des héros et on obscurcit le passé, comme le Moyen-Age.
Finalement, on peut résumer l’origine de ces clichés à une tentative de recherche d’un « roman national », comme on en trouve dans les autres pays, à l’instar de la Chine avec les Trois Royaumes. Les éléments d’un tel roman national permettent d’unifier les peuples et en même temps de leur conférer une identité. Cela, quitte à falsifier la réalité et à se reposer sur cette conception biaisée de l’Histoire que divers domaines d’activité de divertissement entretiennent aujourd’hui, tels que le cinéma et les jeux vidéo. Finalement, dans Wollfstein, Medal of Honor, battlefield, Age of Empire, Age of Mythology, God of War ou encore Assassin’s Creed, les producteurs se servent de l’Histoire comme d’un décor et transforment ainsi le spectateur, ou le joueur, en touriste historique.
Tourisme historique
Une entreprise cherche à vendre, souvent au-delà des frontières, alors il faut pouvoir intéresser un joueur de n’importe quelle culture pouvant habiter aux quatre coins de la planète. C’est la raison pour laquelle le jeu vidéo nécessite des concessions avec la réalité, car le but n’est pas alors de réaliser une réplique de la réalité mais de s’en inspirer pour créer un univers divertissant et intéressant pour le plus grand nombre.
Dans ces conditions, l’Histoire est un décor, et ce décor, pour être vendeur, se doit d’être beau. Cela signifie qu’au moment de la fabrication du jeu, une sélection d’éléments spectaculaires de la réalité est opérée afin de les glisser dans le décor virtuel dans l’objectif que l’univers graphique soit compréhensible par tout le monde.
Le joueur navigue de la sorte dans un univers historique sublimé où il est une sorte de touriste dans un décor pseudo-historique. C’est là le cœur du marketing d’Ubisoft qui ne s’en cache pas car cette entreprise n’a aucune vocation scientifique ou historique. C’est pourquoi, par exemple, dans Assassin’s Creed Origins les graphistes ont jugé bon que les pilonnes du temple de Memphis soient deux fois plus grand qu’ils ne l’ont été dans la réalité. Cela sert un effet d’échelle qui enjolive le décor grâce à une architecture colossale.
L’entreprise précise néanmoins que, concernant les monuments encore visibles aujourd’hui, comme les Pyramides de Gizeh dans Assassin’s Creed Origins, un effort est fait pour conserver davantage de réalisme. Mais pour les bâtiments qui ont disparu, comme ces colonnes de Memphis, ils sont un prétexte à l’expression de la fantaisie des concepteurs afin de conférer au jeu un côté mystique attisant un peu plus l’aspect rêveur des joueurs.
Pour conclure, on serait amener à se dire, à juste titre, que de telles libertés envers l’Histoire comportent des risques. Notamment qu’un joueur croit que tout ce qu’il voit dans le jeu est la réalité. Or, nous l’avons vu, le réalisme des images ne signifie pas le réalisme historique, et les joueurs le savent. Ils sont devant un jeu. En outre, de telles jeux sont susceptibles de créer un besoin de connaissance : jouer dans tel lieu à telle époque peut piquer la curiosité de certains, et les inciter à faire de véritables recherches.
De plus, si certains gamers souhaitent découvrir des jeux particulièrement réalistes, alors sachez que la République Tchèque a développé un petit bijoux de réalisme se déroulant au Moyen-Age, et son nom c’est Kingdom Come : Deliverance, à découvrir aussi en vidéo ci-dessous :